Au-Delà de la Confusion Politique : Décryptage de l'Autorité selon Hannah Arendt
Si l'évocation d'Hannah Arendt et de sa réflexion sur l'autorité nous éclaire sur un concept souvent malmené et confondu dans le tumulte politique de son époque, il est crucial d'approfondir davantage cette perspective pour mieux comprendre les racines de sa pensée et les implications contemporaines de son raisonnement.
Hannah Arendt, en proposant une définition de l'autorité, met en lumière une préoccupation profonde : la confusion croissante entourant ce concept au sein des discours politiques de son temps. Les époques troublées et marquées par la tyrannie et le totalitarisme ont entraîné un mélange pernicieux entre autorité, persuasion et violence. Dans ce contexte, la perte d'autorité apparaît comme le ferment de la violence politique. L'autorité, telle qu'Arendt la conçoit, agit comme une base solide qui n’a pas nécessairement besoin de violence et sur laquelle reposent les institutions et les relations sociales. Elle joue un rôle de ciment social, ralliant les individus autour d'un objectif commun. L'origine de cette perte d'autorité est attribuée par Arendt à la rupture moderne avec la tradition, une déconnexion qui a engendré des interprétations erronées cherchant à combler le vide ainsi créé.
Au cœur de cette réflexion, l'autorité émerge comme une force fondée sur une légitimité largement acceptée, créant une hiérarchie où même les gouvernements les plus autoritaires sont liés par des principes transcendants. Les exemples de lois divines sont évoqués, illustrant comment l'autorité maintient la liberté des individus qui y adhèrent volontairement et non sous une contrainte. En d’autres termes, les individus reconnaissent l’autorité de cette puissance transcendante. Contrairement à la tyrannie où le tyran gouverne selon son intérêt, l'autorité trouve son ancrage en dehors du pouvoir. Elle devient une entité commune à tout le groupe, acceptée volontairement. Dans cette optique, Arendt puise dans la pensée politique grecque pour explorer l'essence de l'autorité, se tournant ensuite vers les expériences romaines et catholiques pour approfondir son analyse.
La République de Platon occupe une place centrale dans cette quête d'entendement. Arendt scrute les
tensions entre l'idéal gouvernemental platonicien et la réalité de la polis, mettant en évidence la préférence de Platon pour la vérité en remplacement de la persuasion. Platon voudrait placer l’idée du Bien comme source d’évidence transcendante et la raison comme guide de l’esprit vers cette évidence, mais cette quête, propre au philosophe, ne peut s’avérer efficace pour la majorité. Ainsi, la quête de la vérité en tant qu'autorité supérieure semble limitée dans son efficacité pratique. Platon introduit alors dans la République, au dernier livre, le mythe de l'enfer pour consolider l'autorité du Bien, mais cette stratégie politique se heurte tout de même à des obstacles. De son côté, Aristote propose une approche pédagogique, ancrant l'autorité dans l'éducation des jeunes par les anciens. Cependant, cette approche, bien qu'axée sur l'autorité, ne fait que projeter un modèle de domination plutôt qu'une véritable autorité.
C’est plutôt chez les Romains que Arendt trouve les premières expériences concrètes d’une autorité politique. La philosophie et le raisonnement n’étant pas efficaces, l’autorité les dépasse ici en les précédent dans un principe fondationnel. Cette autorité se base en fait sur une sorte de sacralisation de la fondation de Rome, élément intégrer à la politique romaine. Rappelant que le mot autorité signifie augmenter, Arendt explique que chez les Romains nous avons affaire à une autorité qui vise à augmenter, valoriser et poursuivre la mission de la fondation de Rome. L’autorité s’incarne dans la poursuite du geste de création des fondateurs. De la sorte, l’autorité est plutôt vue comme une approbation proche de celle des Dieux. L’autorité est donc à l’extérieure de ceux qui possèdent le pouvoir, soit le sénat. Le modèle est ici sous la forme d’une pyramide inversée où le peuple fondateur est à la base de l’autorité par leur geste de création qui donne sens à un projet politique incarné et réactualisé par le sénat, lieu du pouvoir, qui se place sous cette autorité. De cet exemple concret, on comprend bien que l’autorité ne s’organise pas dans une rapport de dominants et de dominés, mais sur une légitimité qui donne forme à un projet politique auquel l’ensemble du corps social s’engage aussurant une stabilité et une constance.
En évoquant la haute estime des Romains pour les anciens Grecs, en particulier en ce qui a trait à la théorie, la philosophie et la poésie, Arendt souligne l'influence de la tradition et de l'expérience politique romaine sur l'Église. L'Église, à son tour, s'appuie sur des récits fondateurs et fusionne l'autorité romaine avec la transcendance grecque, érigeant les évangiles en autorité suprême. En effet, l’Église place l’autorité des évangiles au-dessus du pouvoir humain en plus d’incorporer le mythe de l ‘enfer et la transcendance. L’Église s’inscrit donc dans une forme pyramidale avec un principe transcendant à son sommet. Cela forme selon Arendt une trinité composée de la tradition, de la religion et de l’autorité où, si un des éléments viendrait à en être mis en doute, les autres se fragiliseraient subséquemment. Voilà donc pourquoi la remise en question de la religion et de la tradition par la rupture du monde moderne a aussi mené à une perte de sens du concept d’autorité.
En somme, l'analyse approfondie d'Arendt révèle une perspective riche et nuancée sur l'autorité. Son exploration des fondements grecs, romains et religieux met en évidence l'importance cruciale de l'autorité en tant que socle du pouvoir politique et social. Loin d'être une simple expression de domination, l'autorité, telle qu'Arendt la conçoit, incarne une légitimité partagée, un pilier essentiel pour la stabilité des institutions et la cohésion sociale.
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